Dix ans après le Bataclan, le père de Matthieu Giroud témoigne sur Radio ISA

Il y a dix ans jour pour jour, le 13 novembre 2015, la France sombrait dans l'horreur. Les attentats à Paris et Saint-Denis faisaient 132 morts et plusieurs centaines de blessés au stade de France, sur les terrasses et au Bataclan. Parmi les victimes, Matthieu Giroud, 38 ans originaire de Jarrie, qui a perdu la vie alors qu'il assistait au concert de Eagles of Death Metal. Son père François Giroud, a décidé de témoigner pour Radio ISA. 

Axel Gambaracci : Merci d’accepter de nous parler dix ans après de cette nuit du 13 novembre. Parmi les victimes des attentats du Bataclan, il y avait votre fils Matthieu, âgé de 38 ans, maître de conférences en géographie, père d’un petit garçon, sa compagne qui était d’ailleurs enceinte à l’époque de leur deuxième enfant. On dit souvent que le temps apaise, entre guillemets. Est-ce que c’est le cas pour vous dix ans après ?

M. Giroud :Alors non, je ne crois pas. Bien sûr, je sais que, comme vous dites, le temps apaise, et on passe par les étapes du deuil qui sont bien déterminées dans la psychologie.
Mais je crois que, dans mon cas, ça n’a rien apaisé. Je ne dis pas que je me tape la tête contre les murs chaque jour, bien évidemment pas, mais la douleur d’avoir perdu Matthieu dans des circonstances aussi dures est toujours présente. Matthieu, on a sa dernière photo sur le piano du salon. Chaque matin, je croise cette photo, et c’est toujours là. Donc non, je ne peux pas dire que ces dix ans ont apaisé les choses. Et en plus, j’ai l’impression qu’ils n’ont pas existé… qu’on est toujours en 2015.


Aujourd’hui, avec les hommages, est-ce que le 13 novembre est pour vous un jour particulier ou un jour comme un autre ?

Alors effectivement, c’est pas très différent des autres 13 novembre. Au cours de ces dix ans, on a assisté  à la cérémonie à Paris avec mon épouse. On fait aussi partie de l’association des victimes “13.11.15 Fraternité-Vérité”, qui tient une assemblée générale chaque printemps. Et depuis 2019, il y a aussi une commémoration officielle des victimes du terrorisme le 11 mars. À Grenoble, nous allons à la cérémonie organisée au Monument des Diables Bleus. Donc vous voyez, il y a une continuité. Il y a eu le procès aussi… Bref, tout cela nous relie constamment à cet événement.

Toutes les émissions, les séries, les documentaires diffusés en ce moment…est-ce que vous les regardez ? Ou est-ce que vous vous en méfiez ?

Oui, oui, on les regarde avec mon épouse. Notamment la série Les Vivants, qui retrace l’histoire des onze otages du couloir du Bataclan. On la trouve très bien réalisée. Et comme on connaît personnellement un des otages, par l’intermédiaire d’Aurélie, la compagne de Matthieu, on sait que la fiction est fidèle à la réalité. Quand on regarde, on découvre la cruauté de ces terroristes… certaines scènes reconstituées sont dures. Mais c’est important pour nous, parce que toute la société reparle de ça. C’est essentiel de se souvenir du 13 novembre.

Le fait qu’on en parle surtout à cette période, ça vous dérange ? Vous avez peur qu’on oublie ?

Non, je pense qu’on ne peut pas parler de tout, tout le temps. Cet événement, aussi grave soit-il, n’est pas plus grave que la guerre en Ukraine, que Gaza, que le Soudan…C’est le fonctionnement de l’actualité.
Mais ça fait du bien d’en entendre reparler, parce que le 13 novembre 2015 est devenu un événement de l’histoire de France. Il faut le fixer dans la mémoire collective.

Vous avez témoigné au procès, vous témoignez encore aujourd’hui… c’est important pour vous d’en parler ?

Oui, c’est important. Quand on vit un deuil aussi proche, on se rend compte qu’on n’en a finalement que très peu dans une vie : ses parents, parfois âgés… un conjoint… un enfant, c’est encore plus terrible.
Les gens autour ne savent pas toujours comment en parler. Certains n’osent pas, d’autres évitent le sujet. Alors, oui, quand on est interrogé, reconnu, ça aide un peu. Mais je ne le recherche pas : je sais que dans dix jours, on ne m’interrogera plus. Moi, je suis à Grenoble, il y a France 3, le Dauphiné Libéré, des radios comme vous, et voilà.
On n’est pas nombreux dans l’Isère à avoir été touchés directement. 

Ces derniers jours, Salah Abdeslam, par la voix de son avocate, a dit vouloir rencontrer des victimes. Est-ce qu’un dialogue est possible selon vous ?

Non, c’est absolument impensable. Il est condamné à la perpétuité incompressible. Et puis, ses déclarations changent sans cesse… c’est aussi un coup de communication de
son avocate. La justice restaurative, d’accord pour certains délinquants, mais pas pour des terroristes. Quand on voit la cruauté de ce qui s’est passé au Bataclan, on ne peut pas pardonner.
Ce n’est pas possible.

Je comprends… Et concernant la compagne de Mathieu, Aurélie, et leurs enfants ? Comment allez-vous aujourd’hui ?

Ça se passe très bien. Aurélie vit à Paris avec ses deux enfants, on les voit à chaque vacances scolaires. Elle a été très courageuse. Elle a écrit deux livres, dont Déplier le cœur, et elle témoigne
souvent, notamment dans les écoles. Elle, elle croit davantage à la justice restaurative, elle a même rencontré des prisonniers. On en discute ensemble, parfois avec des avis différents, mais toujours dans le respect. On la verra à Paris pour le 13 novembre.

Une dernière question, monsieur Giroud. Quand vous pensez à Mathieu, qu’est-ce qui vous revient le plus souvent ?

Mathieu, c’était un garçon formidable. Pendant son enfance et son adolescence, aucun problème. Il était ouvert, serviable, passionné de foot et de musique. Et en géographie, il commençait à faire un vrai travail reconnu. Il travaillait sur la gentrification des quartiers, sur Grenoble notamment. Ses collègues et ses étudiants l’admiraient. C’était un type extraordinaire. Une grande perte.

Matthieu Giroud et son père François Giroud

Propos recueillis par Axel Gambaracci